« Un fondateur peut bloquer une transaction » La lettre CapitalFinance groupe Les Echos par Edouard Lederer du 21.03.2011

Pour Matthieu Langeard, associé chez Human Equity, le dirigeant-fondateur d’une entreprise peut parfois faire obstacle à sa mutation. Il plaide pour le recours à des techniques de «  désolidarisation positive », destinées à séparer en douceur l’entrepreneur de sa création. Le lien étroit d’un fondateur à son entreprise peut-il être gênant ? Sans même s’en rendre compte, il peut bloquer, ou troubler le bon déroulement d’une opération, au moment de céder son entreprise. Ainsi, il arrive que le dirigeant, qui avait déjà donné son accord en amont, remette en cause au dernier moment le prix de cession, voire l’identité du repreneur. Autre cas de figure en phase de capital-risque : l’investisseur lie son investissement à un renforcement du management, ce qui peut impliquer le recrutement d’un Dg. Certains fondateurs vont alors tout faire pour le placer en situation d’échec.

Comment cette attitude se traduit-elle concrètement ?

Il peut s’agir d’opposition frontale à certaines grandes orientations. Mais la plupart du temps, ils agissent de façon plus insidieuse. On retrouve ici les techniques habituellement observées dans les situations de harcèlement moral : le dirigeant dénigre le travail de son bras droit, le contourne, l’isole…J’ai connu un entrepreneur qui a usé trois directeurs généraux en deux ans. Jusqu’à  malheureusement conduire son entreprise à la faillite.

Comment expliquez ce comportement contre-productif ?

Un repreneur ou un co-dirigeant provoque le fondateur dans son lien intime à l’entreprise. Dans un cas comme dans l’autre, il doit accepter pour la première fois la présence d’un intermédiaire entre son organisation et lui. Indice de ce huis clos entre le dirigeant et sa création : en cas d’échec, il sera intimement convaincu que le fonds a mal fait son travail, ou que le Dg est incompétent.

Cette attitude peut-elle aussi s’étendre à la famille ou au management initial ?

Clairement. Il existe même un cas d’école dans le domaine : l’an dernier, une entreprise du secteur de l’alimentaire a dû recruter un nouveau dirigeant suite au décès de son fondateur. Sa famille, toujours à la direction, a consommé plusieurs directeurs généraux dans un temps assez bref. Plus globalement, le départ du dirigeant peut se traduire par un retour à « l’état sauvage » de l’organisation : guerre civile entre managers, phénomènes de « hordes primitives » liguées contre la nouvelle direction.

Comment éviter d’en arriver là ?

En ritualisant le départ du fondateur, et en remettant en perspective sa relation à son entreprise. Nous l’aidons à se recentrer sur lui-même, alors qu’il considérait jusque-là l’entreprise comme un prolongement de sa personne. Mon travail se rapproche alors de celui du biographe : j’interroge le dirigeant sur son parcours professionnel, et sur le sens qu’a pour lui cette transmission. Il s’agit de l’aider à prendre conscience de ce à quoi il dit « oui » en cédant son entreprise ou en accueillant un nouveau management. Très concrètement, je réalise trois entretiens avec le dirigeant, plus un quatrième avec son successeur potentiel. Je les réunis au cours d’une dernière séance. Je leur lis le « mythe fondateur », texte reprenant sur base de ces entretiens les valeurs et les dates clé de l’entreprise, s’entremêlant avec la vie du fondateur. Le successeur exprime ses points de résonance avec l’entrepreneur. J’écoute les éventuelles divergences, et m’attache à ce que chacun soit valorisé.

Comment vous faites-vous accepter du dirigeant dans ces circonstances ?

Nous lui expliquons dans un premier temps que pour mieux comprendre son entreprise, il nous faut mieux le connaître. Nous pourrons de la sorte choisir un successeur ou un Dg plus en adéquation avec l’entreprise. Dans un deuxième temps, l’étape délicate est de passer du rôle de biographe à celui de conseil en management. Pour le dirigeant s’approprier le « mythe fondateur » est rassurant, car il sait que ses salariés ne l’oublieront pas, même s’il s’éloigne. A ce stade, il n’est pas rare qu’il décide de publier le texte sur le site web. Symboliquement, cela revient à fixer une plaque à son nom dans le hall de l’entreprise.

Selon vous, cette approche peut-elle se généraliser ?

Elle reste encore aujourd’hui assez avant-gardiste. Cette pratique s’appuie pourtant sur les concepts du storytelling, déjà largement diffusés dans la sphère politique, et les traduit dans le conseil en management. En réalité, les transferts de technologies restent rares entre les sciences humaines et les entreprises, deux univers qui se méfient l’un de l’autre.