L’analyse psychologique des forces-fragilités entrepreneuriales devient un sujet économique clé, voire même, le nouveau graal : les investisseurs et les entrepreneurs s’accordent sur le fait que la personnalité du dirigeant fait l’essentiel de la réussite d’un projet ! L’expression « psychologie entrepreneuriale », inconnue il y a encore six ans, cumule donc aujourd’hui 5 000 occurrences dans les moteurs de recherche internet, en français, et dans sa version anglaise.

Naturellement, nous sommes leaders en la matière !

Le mot « entrepreneur », au succès mondial, est français. Entreprendre signifie « prendre entre » : assembler des éléments existants pour en faire quelques chose de nouveau. Il est donc logique que nous soyons aujourd’hui leaders dans l’intelligence de ses implications humaines.

A la croisée de la psychologie négative (soigner ses blessures) et de la psychologie positive (réaliser son potentiel), les recherches en psychologie entrepreneuriale s’inscrivent pleinement dans la French theory : ce nom est donné, dans les universités américaines, à un mouvement international, transdisciplinaire et flou qui a essaimé de France à partir des années 1960. Son objectif est l’intensification de la pensée et de l’action.

Voici les grandes lignes de la French theory, cette approche qui révolutionne le monde !

1-
Les grandes découvertes du XXe siècle ont remis en cause l’approche scientifique moderne héritée des Lumières. Celle-ci visait le contrôle et la maîtrise du réel, alimentée par la prétention à la cohérence absolue.

2-
L’approche postmoderne assume son statut d’aventure. Le chercheur sort de l’ornière des normes à vocation universelle. Il s’extrait des dogmes à caractère de quasi lois physiques qui avaient pour objectifs de réduire la complexité du réel pour s’en protéger : de la rationaliser et de la normaliser en éliminant l’étrange, le mystère. La démarche scientifique postmoderne prétend à la vérité, une fois les objections compétentes consultées et levées. La recherche reste rationnelle, mais s’ajuste. Elle tend à l’objectivité sans en faire une fixation.

3-
L’approche scientifique se fait à la fois plus humble et plus ambitieuse. De nouvelles exigences s’ajoutent aux précédentes ! Elles interpellent la subjectivité du chercheur : ses biais – préjugés et a priori fruits de sa culture et de son histoire personnelle – tendent à être explicités. De plus, celui qui invente, observe et spécule se réinscrit dans le texte : il dit « je », il assume son point de vue. Le chercheur assume de toujours faire partie de ce qu’il dit : il s’implique activement et interprète son expérience : le chercheur accède à un fil narratif et développe sa capacité de mise en récit (approche narrative).

4-
Le chercheur pratique la présence attentive (réduction phénoménologique). Par la suspension du jugement, il se rend présent à l’instant (épochè) pour accéder à la connaissance vécue : à son expérience intérieure du phénomène observé. Par cette pratique de soi, il se donne aussi la chance de ne pas écraser immédiatement la réalité par une pensée et un langage déjà disponible (grilles de lecture étroite et rigide). Il se prédispose à l’étonnement, à la découverte, donc à de nouvelles avancées scientifiques. Le chercheur gagne en puissance là où il pensait la perdre (traversée symbolique du miroir).

5-
Les domaines scientifiques sont abordés par leurs noyaux, et non par leurs frontières dont le caractère flou est enfin reconnu. Il décloisonne les alvéoles disciplinaires grâce à la transversalité des sujets, source de fertilisation croisée. Les chercheurs partagent une curiosité foisonnante, innovante et un tantinet anarchiste. Leur démarche puise son énergie dans l’eros : pulsion de vie dont la fonction est de lier des unités toujours plus grandes. Ils évitent donc la catégorisation, source de mort (thanatos).

La connaissance s’articule en rhizome : elle « pousse » à partir de pôles thématiques interconnectés, intégrés en constellations solidaires. « L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance. A la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. » « Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde. » « La pensée n’est pas arborescente, et le cerveau n’est pas une matière enracinée ni ramifiée. Beaucoup de gens ont un arbre planté dans la tête, mais le cerveau lui-même est une herbe beaucoup plus qu’un arbre. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari).