La crise systémique que nous vivons actuellement n’a-t-elle pas un rapport direct avec la faille de notre système éducatif dans la valorisation de l’entrepreneur ?

Selon Robert Edward ULANOWICZ*, tout écosystème peut se maintenir de façon durable s’il existe un équilibre entre l’efficacité et la résistance. Ces deux critères mesurent quantitativement la capacité d’un écosystème à survivre à un choc, à savoir sa durabilité dans le temps. Ils sont des fonctions de deux variables de structure : l’interconnexion entre les agents de cet écosystème et la diversité de ces agents.

L’équilibre optimal, compris dans une certaine fenêtre de viabilité, est instable car si l’écosystème cherche à être trop efficace en diminuant la diversité des agents et leur interconnexion alors il s’effondre. Au contraire, s’il y a trop de diversité et d’interconnexions, il s’effondre aussi. Néanmoins, l’équilibre tend à se trouver plus du côté du critère de la résistance, privilégiant ainsi la diversité et l’interconnexion, que celui de l’efficacité.

Cette structure de phénomène de réseau et ces propriétés d’interdépendance entre la durabilité d’un écosystème et le couple diversité / interconnexion entre ses agents intrinsèques est valable pour tous les écosystèmes. En s’intéressant à l’écosystème économique global, on comprend que la recherche d’une plus grande croissance avec la monoculture d’un groupe d’entreprises monopolistiques a pour but la recherche de l’efficacité, alors seul critère considéré comme pertinent. Mais cette dynamique de non diversité, appliquée artificiellement à cet écosystème économique complexe, amène à la seule issue possible de l’effondrement systémique qui explique les crises et les récessions fréquentes.

La courbe de durabilité sur le graphique se situe entre les deux pôles de l’efficacité et de la résilience. La Nature ne choisit pas le maximum d’efficacité, mais un équilibre optimal entre les deux. Notez qu’au point optimal la résilience est environ deux fois moins importante que l’efficacité : la fenêtre de viabilité dans laquelle tous les écosystèmes naturels durables fonctionnent. Tous les écosystèmes opèrent invariablement dans une marge assez étroite de chaque côté du point optimum.

Dans la littérature originale cette fenêtre est appelée window of vitality partant du fait que les écosystèmes naturels supportent des formes complexes de vie dans cette marge uniquement. L’écosystème global dépasse de manière significative l’équilibre optimal ou la Fenêtre de Viabilité, par suite de l’accent exclusif mis sur l’efficacité. Il est donc condamné à l’effondrement parce qu’une croyance générale veut que toute amélioration doit aller plus loin dans le même direction exclusive de plus grande croissance et d’efficacité.

Dynamique d’une monoculture appliquée artificiellement dans un système complexe où l’efficacité est le seul critère considéré comme pertinent ? La seule issue possible est un effondrement systémique. La création de structure de divers types permet à l’économie de refluer vers une plus grande durabilité (flèche verte). Bien que ce processus réduise clairement l’efficacité, ceci est le prix à payer pour une plus grande résilience du tout.

Mais comment inciter la création de structure, l’engagement de soi et l’entrepreneuriat dans un système de médiocratie ou domination, gouvernance et influence des médiocres ? Selon Gottlieb GUNTERN , le système dominant démocratique, ou dictature de la majorité, crée de manière indirecte un système de médiocratie, à savoir un système où seul les personnes du milieu sont valorisées et propulsées hiérarchiquement aux commandes politiques de notre société.

En effet, la majorité va toujours élire le plus représentatif de sa catégorie, le meilleur de la majorité, qui se trouve être le meilleur des managers de la société avec sa vision à court-terme et sa haute capacité à gérer un système existant qu’il considère comme presque parfait, corrigeant ainsi les erreurs avec quelques restructurations de celui-ci sans pour autant imaginer un changement du fondement même de ce système.

Pourtant, une bonne stratégie politique est basée sur la vision sur le long terme, impliquant ainsi la mise en valeur de personnes créatives capables de prévenir les grands changements de civilisation afin d’anticiper la réinvention du système et de remettre en cause de manière palliative ses fondements. Chose essentiel que l’inertie managériale ne peut qu’effleurer de manière curative.

Malheureusement, ces visionnaires créatifs, ces vrais leader ne sont pas valorisés, car ils sont non seulement minoritaire, tout comme les excellent managers, mais ils sont aussi considérés comme trop alternatifs et contestataires pour une majorité qui se contente d’un système imparfait mais qui fonctionne, surtout pour la minorité au pouvoir. La médiocratie nous impose donc des managers alors que nous avons besoin de leaders au pouvoir, d’entrepreneurs capables de faire évoluer une civilisation.

Comme nous venons de le voir, une société a besoin d’entrepreneurs, non seulement pour amener la résilience nécessaire au système économique en amenant diversité et interconnexion par la création d’entreprise, mais aussi pour diriger une stratégie politique sur le long terme.

Mais notre système éducatif élitiste et ne valorisant que la performance managériale ne nous permet pas de repérer les futurs « créatifs culturels » (au sens anthropologique de créateurs de culture), les entrepreneurs en devenir, les vrais leaders visionnaires. Il est temps de changer cette éducation basée sur l’apprentissage de systèmes existants à répliquer afin d’inciter la création, l’innovation et le leadership éthique.

En effet, seuls les créatifs, les innovateurs et leaders sont capable de se projeter dans le futur idéalisant une vision afin de définir ensuite une stratégie planifiée sur le long terme pour atteindre cet objectif utopiste d’aujourd’hui qui fera la réalité de demain. Le chemin semble encore long lorsque l’on contemple, consterné, les vecteurs de communication contemporain nous offrant à foison divertissement et une vraie culture au goutte à goutte.

Mais tant que le système économique (qui se contente aisément des managers producteurs de richesses pour la minorité au pouvoir) contrôlera notre information (publicité commerciale incitant à la consommation par la pulsion d’achat et non la réflexion par un choix basé sur la qualité réelle d’un produit) et notre éducation (orientation académique basée sur le marché de l’offre et de la demande d’emploi), nous ne sommes pas prêt de voir émerger un système éducatif basé sur l’identification, l’évaluation, l’accompagnement et la valorisation de l’entrepreneur au sein de notre société.

Et pourtant, cet entrepreneur est non seulement indispensable à notre civilisation, mais plus notre société se détériore, plus le potentiel d’entrepreneur augmente, il faut donc se mettre d’urgence à la recherche de ces porteurs de projets.

* Robert Edward ULANOWICZ: Ulanowicz, R.E. Enduring metaphysical impatience? Pp. 131-148 In: J.D. Proctor (Ed.) Envisioning Nature, Science and Religion. Templeton Foundation Press, West Conshohocken, Pennsylvania.