Déjeuner cette semaine avec mon ami B., directeur associé d’un des principaux fonds de capital-risque de l’Afic, l’Association française des investisseurs en capital.
– « Plus ça va, plus mon métier se résume à séduire les entrepreneurs stars de la place pour les convaincre de me laisser les accompagner dans leurs nouveaux projets ! C’est ma capacité à nouer une relation forte avec eux et à leur faire sentir ma valeur ajoutée qui fait la différence. »
– « Qu’est-ce que tu appelles un « entrepreneur star » ? »
– « C’est un créateur d’entreprises qui a déjà sorti de terre plusieurs projets revendus après quelques années sur des niveaux stratosphériques. J’admire ces gens-là, c’est tout ce que je recherche ! »
– « Il y en a beaucoup de ces successful serial entrepreneurs ? »
– « Très peu, et tout le monde les connaît. Ils sont donc très courtisés par les investisseurs. Aujourd’hui c’est ce que je fais de mieux : nouer de bonnes relations avec eux. C’est devenu mon métier ! »
Le top entrepreneur est-il à l’entrepreneur ce que le top manager est au manager ? L’icône d’un monde centré sur la réalisation de plus-values à court ou moyen terme ? Le représentant des élites économiques qui font les mêmes écoles, fréquentent les mêmes clubs et véhiculent implicitement toujours plus d’exclusion et de mépris ? Cette mystique de « l’exécution » (sic), cette idolâtrie de l’excellence managériale sont pourtant une machine à décevoir.
L’entrepreneuriat est porteur de sens là où bien souvent l’histoire de vie du dirigeant donne du sens à l’action. L’entrepreneuriat est rare et beau dans ses implications humaines, et accessible au plus grand nombre dans sa dynamique profonde (être entreprenant). C’est généralement le projet et la vision d’une vie (même jeune). Créer et développer une entreprise est toujours une grande aventure humaine. Des liens précieux sont générés grâce à l’intensité partagée et les épreuves traversées.
Le « top entrepreneur » est-il le nouvel avatar de l’arrête tranchante du capitalisme que déconstruit subtilement Richard Sennett : cette culture mainstream qui ruisselle de la haute finance et des multinationales de services pour intoxiquer tout le reste de l’économie. Une culture de l’opportunisme individuel et de l’immaturité affective. Une culture de l’innovation triste et étriquée. Une culture de l’agitation vaniteuse.
Chefs d’entreprises, consultants et investisseurs membres de Finance for Entrepreneurs, nous avons la conviction que l’entrepreneur génère plus de valeur s’il est :
– Un porteur de projet : sa trajectoire de vie croise le projet, il se produit une étincelle qui donne du sens et de la durabilité au projet.
– Un bâtisseur responsable : son action génère de la valeur partagée (sous forme d’emplois ou de partenariats), des liens sociaux, et s’inscrit dans un espace (impact sur son environnement) et un temps (durabilité).
– Un innovateur : entreprendre signifie « prendre entre », donc rassembler des éléments existants pour en faire quelque chose de nouveau ».
L’entrepreneur a intérêt à ne pas être :
– Qu’un homme d’affaires : money maker, market timer, asset manager…
– Qu’un manager de projet : indispensable, mais interchangeable.
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