Résumé et commentaires personnels de la retranscription de la conférence faite par le père Pierre Teilhard de Chardin à Pékin, le 28 décembre 1943, Sur le bonheur.
Devrais-je présenter Pierre Teilhard de Chardin ? Si nous laissons de côté son incroyable parcours de jésuite, théologien, paléontologue et philosophe, que resterait-il ? Sûrement le fait qu’il soit avant tout un chercheur de sens, de liens, entre foi catholique et science, entre progrès et spiritualité.
Sens et liens donc, tels seraient les deux mots clés que je retiendrais. Liens tout d’abord, Pierre Teilhard de Chardin nous ouvre en effet le champ des possibles en distinguant dans l’espèce humaine une caractéristique majeure : notre capacité (notre désir en tout cas) de faire communiquer nos consciences : « en se groupant par la communication, les consciences vont faire le même saut qualitatif que les molécules qui en s’assemblant étaient passées brusquement de l’inerte au vivant ». De l’internet aux réseaux neuronaux, l’avenir semble lui donner aujourd’hui chaque jour raison.
Sens ensuite, car Pierre Teilhard de Chardin voit, malgré les excès de violence, une progression naturelle de l’espèce humaine, qui, s’efforce de développer des réseaux de solidarité de plus en plus élaborés. De la complexité de l’Homme naîtrait en effet un désir de se rassembler, de ne former qu’un, de se fondre dans l’Amour du Christ, pôle de convergence de l’évolution, ou point Oméga.
1. « Tous les êtres se déplacent dans la direction qui leur apporte le plus de bien être ».
Le don de réflexion de l’Homme entraîne deux qualités :
– La perception du possible,
– La perception de l’avenir.
Double pouvoir dont l’apparition suffit à le jeter dans le trouble. Le bonheur semble en effet soit impossible, soit indéterminé. En vérité s’offre à chacun d’entre nous trois possibilités, qui sont en fait trois attitudes face à la vie. Sommes-nous des :
– Fatigués – pessimistes ?
– Bons vivants – jouisseurs ?
– Ardents ?
Je classerais sans nul doute les entrepreneurs dans la troisième catégorie : les « ardents ». Vivre est pour eux une ascension, une découverte, ils avancent en conquérant de nouveaux territoires jusqu’ici inconnus dans un esprit d’aventure. « On peut plaisanter ces hommes, les traiter de naïfs ou les trouver gênants. Mais en attendant, ce sont eux qui nous ont fait ». Cette citation fait écho à celle de Magaret Mead « Ne doutez jamais du fait qu’un petit nombre de gens réfléchis et engagés peuvent changer le monde. En vérité, c’est la seule chose que l’on n’a jamais fait. » Oui les ardents sont des hommes dont l’élan les poussent vers l’avenir, ils créent, ils bâtissent le monde, ils entreprennent.
Mais revenons un instant à ces trois attitudes, qui correspondent en fait à trois types de bonheur.
– Bonheur de tranquillité : « pas d’ennuis, pas de risques, pas d’efforts ».
– Bonheur de plaisir : « incessamment renouvelé ».
– Bonheur de croissance, « où l’Homme trouve la joie ».
Oui, « nul changement ne béatifie à moins qu’il ne s’opère en montant. » Ainsi Pierre Teilhard de Chardin affirme que ce bonheur de croissance est la meilleure de trois voies et nous indique qu’il nous suffit de regarder la Nature. L’univers n’est pas fixe, mais il se meut depuis toujours suivant deux grands courants contraires, expansion (dilatation) et contraction. Reliez cela à la progression vers des états de conscience supérieurs et vous aurez synthétisé une des pensées fulgurantes de ce philosophe pas comme les autres .
« La vie progresse méthodiquement irréversiblement vers des états de conscience de plus en plus élevés et nous sommes embarqués dans ce voyage » ; en fait, les ardents, les entrepreneurs, sentent qu’ils sont embarqués, ils ont conscience qu’il leur faut donc avancer. Ce troisième bonheur, ou sa recherche, impose une marche vers le progrès.
2. « Joignons-nous sans hésiter au groupe de ceux qui veulent risquer l’ascension jusqu’au dernier sommet. En avant ! »
Oui, qu’importe, qu’ils soient freinés par les fatigués, qui leur conseillent toujours de ralentir, voir de rebrousser chemin quand ils deviennent pessimistes, qu’ils soient sans cesse tentés par les jouisseurs de s’arrêter, de contempler la vue … eux sentent qu’ils préfèrent avancer, que leur cheminement déjà les met en joie.. Oui bien sûr, ils devront affronter obstacles, épreuves, échecs …. Ils devront être endurants, mais ne le sont-ils pas par nature ? Etre entrepreneur, être ardent : avoir le feu sacré, flamboyer, être porté par une force intérieure…
Mais aussi avancer parfois trop vite pour les autres, être véhément. Alors, effectivement, vu de loin, les entrepreneurs peuvent pour certains paraître rebelles, solitaires, mais ils ne le recherchent pas, ce n’est qu’une conséquence de leur marche en avant, qui pour eux est somme toute si normale, Pierre Teilhard de Chardin dirait « naturelle », voire évidente. Les ardents marchent en avant sur des chemins, où leurs compagnons n’osent s’aventurer. Reste encore à ne pas se tromper de chemin…
Là encore, la Nature nous livre la réponse que l’auteur synthétise par les trois temps de la personnalisation. Parce que la vie entraîne toujours plus de conscience et de complexité, il nous conseille de regarder notre unification intérieure, c’est-à-dire notre propre personnalisation, qui nous indiquera le sentier à suivre.
Pour être pleinement soi et vivant, l’homme doit :
– Se centrer sur soi,
– Se décentrer sur l’autre,
– Se sur-centrer sur un plus grand que soi.
Etre, c’est d’abord se faire et se trouver, se mettre en ordre. Aimer ensuite nous permet de trouver l’autre. Puis, dans un mouvement d’ascension qui ne s’arrête plus, des rayons d’un cercle de plus en plus grands se forment… Le monde a ainsi évolué, formant avant-hier un seul corps avec la mondialisation économique, hier un seul cerveau avec l’accroissement extraordinaire des moyens de communication, demain nous devrions ainsi former un seul cœur…
Ainsi les mouvements ascensionnels de la vie correspondent aux trois degrés superposés du bonheur, bonheur de grandir au fond de soi, en forces, en sensibilité, bonheur d’aimer, puis d’adorer, bonheur de se perdre dans l’avenir, se s’immerger dans plus grand que soi et de trouver la joie et une plénitude inépuisable.
3. « Ajouter un seul point, si petit soit-il, à la magnifique broderie de la Vie ; discerner l’Immense qui se fait ; le discerner et y adhérer : tel est, au bout du compte, le grand secret du bonheur ».
Cette paix intérieure, nourrie du monde entier, a l’avantage d’être inépuisable. Elle échappe aux deux écueils que sont la mort ou la corruption et est sans cesse à notre portée, puisque la meilleure façon de l’atteindre est simplement de faire du mieux possible dans cette ascension.
La joie d’être conscient de faire partie d’un tout, cette joie est puisée dans le sentiment de son rôle dans l’univers, si modeste soit-il est la clé. L’entrepreneur a trouvé sa rime dans « le prodigieux spectacle » cher à Walt Whitman.
La foi chrétienne de Pierre Teilhard de Chardin transfigure le monde au coeur duquel aimante un foyer d’énergie. Est-ce un hasard si tous ceux qui l’ont connu ont gardé le souvenir d’une extrême bienveillance et d’une grande chaleur humaine ? Je pense qu’il a simplement été un de ces hommes qui ont su toucher le cœur profond de l’humanité, comme est amené à le faire à sa manière l’entrepreneur…
Le texte intégral est magnifique, vous pouvez le trouver aux Editions du seuil – collection Sagesses.
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