Bien des entreprises qui se créent sont vides : des gens s’associent autour d’une « bonne idée » et croisent les doigts pour que ça marche… Savoir-faire et sens de l’action sont absents, ou pas explicités. Le « made in France » ne peut pourtant reposer que sur du talent. De tout temps, l’artisanat est le vrai lieu de l’expérimentation, de l’innovation et de l’excellence.
Mon amie Maud LC, artiste résidente à l’Institut des Futurs Souhaitables, me demande de lui écrire un article. « Matthieu, nous préparons un abécédaire, peux-tu répondre à cette question pour la lettre W : dans quel Wagon es-tu monté ? » La question m’agace et me trotte dans la tête pendant plusieurs jours. Un matin, le texte suivant sort tout seul. Il est suivi de quelques explications. Grâce à Maud, et grâce à ce texte, je sais mieux qui je veux être et qui je ne veux pas être.
Dans quel wagon es-tu monté ?
Je suis monté dans le wagon de l’entreprise, et plus particulièrement de la banque. Avec le temps, le manque de sens est devenu pesant. La pression conformiste s’est faite insupportable, et la segmentation des taches, inhumaine. Après un temps d’hésitation, rendu interminable par mes peurs, j’ai finalement sauté du train. Et je me suis fait la promesse de ne plus jamais prendre un chemin de fer. Il m’a fallu du temps pour me désintoxiquer. Pour retrouver la confiance en mes sensations. Aujourd’hui, je marche dans la lande. Ce mode de locomotion s’appelle l’artisanat.
« L’artisanat est la production de produits ou services grâce à un savoir-faire particulier et hors contexte industriels. L’artisan assure, en général, tous les stades de sa production, ainsi que la commercialisation de celle-ci. Il est inscrit au Répertoire des métiers, ou à la Maison des artistes ou encore comme profession libérale. Il exerce à son propre compte, souvent aidé de sa famille et d’apprentis qu’il forme » (Wikipedia).
Mon futur souhaitable – mon à venir – est celui d’une économie d’artisans, entreprenants, innovants et partenaires, autour de visions communes. Notre savoir-faire est le fruit précieux de nos parcours de vie. Notre force est de ne pas avoir peur de nos fragilités et de ne pas rechercher d’abris mensongers : fausses définitions de nous-mêmes, vaines sécurités. Notre vie est un processus, non industrialisante, qui se réalise dans notre Métier (ce que chacun fait de mieux).
L’artisanat est un état d’esprit, un retour à l’exigence de la simplicité. Il n’y est plus question de management, ni de leadership, mais d’une réalisation personnelle sans compromis, au service du progrès technique et humain. Un artisan peut-il être aussi chef d’entreprise ? Oui, s’il noue une alliance avec un gestionnaire, et si la motivation première reste l’art : la qualité, et non la quantité.
Nous maîtrisons, en conscience, chaque stade de notre production, et de notre commercialisation. Nous sommes fidèles à notre sensibilité, et sensibles à la fidélité. Fondamentalement, nous sommes libres et indomptables. Regroupés en corps de métiers peu réglementés, nos ateliers sont hospitaliers. Nos apprentis y travaillent en échange d’une Transmission. Bientôt, après nous, gardiens de l’Amour.
Quelques explications
Bien des entreprises qui se créent sont vides : des gens s’associent autour d’une « bonne idée » et croisent les doigts pour que ça marche… Savoir-faire et sens de l’action sont absents, ou pas explicités. Le « made in France » ne peut pourtant reposer que sur du talent. De tout temps, l’artisanat est le vrai lieu de l’expérimentation, de l’innovation et de l’excellence. Les entreprises qui innovent durablement ont su recréer en leur sein des espaces de liberté pour que des équipes d’artisans travaillent la « matière » comme bon leur semble, et innovent. L’artisanat est un luxe : un niveau de qualité parfois inutile – mais qui donne sens et noblesse à l’action –, un rapport personnel et créateur au travail, bref, un art.
Plus intéressant encore : la dynamique artisanale est une fabrique à entrepreneurs. Entreprendre signifie « prendre-entre » : assembler des éléments existants pour en faire quelque chose de nouveau. Il y est question d’autonomie. Au-delà du savoir-faire, la voie de l’artisan exige du savoir-être, dans le rapport à soi-même tout particulièrement. L’écrivain américain Irvin Yalom définit cinq contraintes existentielles : cinq chantiers permanents, incontournables pour être un homme/une femme, debout dans sa vie.
– La contrainte de finitude : accepter d’être mortel.
– La contrainte de solitude : accepter d’être par nature singulier et atypique, trouver son centre de gravité en soi-même.
– La contrainte de liberté : se reconnaître responsable de ses émotions et de ses actes, et s’engager dans la vie. Être dans une logique de responsabilité et non de culpabilité : négocier et accepter les limites (définies dans l’espace et dans le temps) et sortir d’un monde infantilisant et culpabilisant fait d’interdits (massifs et définitifs).
– La contrainte d’imperfection : accepter d’être imparfait, poser un regard positif sur soi et sur sa vie, éviter le perfectionnisme, s’aimer jusque dans ses défauts et ses fragilités, déceler la beauté et la dignité en soi.
– La contrainte de sens : construire le sens aux différentes étapes de sa vie.
Ceci requiert du courage d’être : un rapport nuancé à la peur. Il y a celui qui court comme un fou, saute dans la piscine et manque de se noyer. Il y a celui qui reste dans le vestiaire en tremblant. Et enfin celui qui accepte le contact avec sa peur, pour descendre calmement par l’escalier dans le grand bain.
Le courage d’être se manifeste donc tout particulièrement dans le rapport au temps. En respectant son propre tempo, l’artisan trouve sa puissance. Il évite ainsi le désespoir de ne pas avoir (impuissance) et la rage de vouloir (toute-puissance). Inscrire son action personnelle dans son temps implique qu’il sache ralentir quand tous lui demandent d’accélérer, ou d’accélérer quand tous lui demandent de ralentir.
La voie artisanale de l’entrepreneuriat est notre futur souhaitable.
Merci Maud.
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