Rencontre du directeur général d’un fonds de capital-risque. Cet homme, très actif à l’Afic, me raconte qu’il a souvent un rôle de « médecin de famille » auprès des managers de son portefeuille.
On se connaît un peu et ce jour-là il m’explique pourquoi on ne travaillera pas ensemble : « vous n’êtes pas assez saignant dans vos audits de dirigeants ». Eh oui, mon approche vise à mieux comprendre pour mieux accompagner, pas à blesser.
Un directeur de McKinsey (le clergé de l’excellence managériale) me reçoit dans son bureau sur les Champs-Élysées. Il soutient le financement de l’entrepreneuriat social en France. À la fin de la discussion, il me dit : « Belle approche pour du coaching d’entrepreneurs, mais je ne mettrais pas un euro dans un fonds géré selon vos conceptions. Il y a toujours un moment où le financier doit planter un couteau dans le dos du dirigeant ! » Je sors étourdi et me retrouve sur la plus belle avenue du monde avec un double sentiment : un grand moment de solitude… et la sensation d’être sur un boulevard. Le fameux « océan bleu » de l’innovateur ? (Dans le livre, l’océan rouge est celui des marchés hyperconcurrentiels où les requins se battent le bout de viande. Brrr.)
Arnaud dirige un fonds de capital-risque. On travaille ensemble depuis 4 ans. Là où ses confrères mettent 2 x 5 M € par an dans 2 entreprises… il met 20 x 500 k€ dans 20 sociétés. Son approche courageuse est fondée sur la confiance. Un jour il craque et s’emporte : « les entrepreneurs mentent à tout le monde. Y compris à eux-mêmes. Et ils ne prennent jamais mes conseils, même les plus simples. Je veux qu’on m’obéisse ». Je raconte l’histoire à l’une de mes partenaires professionnelles, Maggie. Elle écoute attentivement et me demande : « qu’est-ce qu’il a voulu dire par « mensonge » ?! Va le voir, pose-lui la question, prends le temps de l’écouter ».
Effectivement, comment avancer avec des gens porteurs de telles contradictions ? En leur faisant expliciter. J’aurais ainsi pu faire découvrir au premier investisseur que mon niveau d’exigence vis-à-vis des entrepreneurs est sans commune mesure avec ses jugements à l’emporte-pièce. Les amener à mettre des mots et communiquer sur leurs forces-fragilités entrepreneuriales est autrement confrontant.
Naturellement, la même inconscience se retrouve chez les chefs d’entreprises. Ils sont les premiers à dire que les financiers ne s’intéressent qu’aux chiffres, « qu’ils ne veulent rien dire »… et les derniers à demander de l’aide quand ils se sentent perdus. Lors d’une crise de confiance avec le fonds-actionnaire, leur capacité de remise en cause personnelle est souvent proche de celle d’une bernique. Régulièrement, « levée de fonds » rime avec « prends l’oseille et tire-toi ».
En matière de responsabilité sociale du private equity tout reste donc à faire. Le changement doit porter sur la qualité de la relation : la façon de faire le capital-investissement. Cette finance socialement responsable dans ses pratiques est plus exigeante pour les équipes : elle demande à ces spécialistes du financement de l’innovation… d’innover dans leurs process. « L’humain fait l’essentiel de la réussite d’un projet » ? Soit ! Quelles expertises mettez-vous sur le sujet ? Comment vous formez-vous ?
La bonne idée ?
L’ouverture de la filière à de nouveaux intervenants complémentaires, et la coopération entre fonds qui interviennent aux stades successifs de développement des entreprises.
– Des conseils en levée de fonds : ces experts aident les entrepreneurs à structurer leur projet (on ne comprend généralement pas ce qu’ils veulent faire et comment ils comptent s’y prendre).
– Des rédacteurs : qui êtes-vous ? comment le dîtes-vous ? Simple, mais rarement fait.
– Des conseils en gouvernance (qui fait quoi ?) et en analyse des opérations de haut de bilan : quelles sont toutes les implications de la transaction pour toutes les parties prenantes ?
– Des conseils en stratégie 2.0 : les recommandations viennent d’un travail animé au sein de l’entreprise.
– Des managers seniors (actionnaires impliqués qui apportent un peu de capitaux et beaucoup de compétences) et de managers de transition sensibilisés à la dimension humaine de leur fonction.
– Des administrateurs indépendants : pour calmer le jeu quand les board s’enflamment.
– Des formateurs à l’écoute active et à la finance comportementale (biais cognitifs dans les processus de décisions) : pour les équipes d’investissement.
– Des formateurs au langage des investisseurs : apprendre à parler de soi dans un langage constructif et compréhensible par un financier.
– Des audits des dirigeants avant investissement : cartographier leurs qualités pour que les fonds aient un meilleur accès à l’humain (acquisition d’un langage et de repères), et se décident en connaissance de cause. Autrement dit, promouvoir les vrais entrepreneurs, atypiques (et un peu caractériels) par définition, auprès d’équipes d’investissement normatives.
– Des coachs pour un suivi complémentaire des participations, une meilleure anticipation des crises de confiance et du teambuilding : « comment veux-tu être en relation avec un fonds si tu n’es pas fichu de te trouver des associés complémentaires et d’être en relation avec eux ? »
– Des partenariats verticaux entre fonds pour l’accompagnement successif des entrepreneurs en fonction du stade de développement de la société.
Soit une communauté enfin diversifiée et complémentaire, favorable aux regards croisés, à l’échange et à la coopération (un écosystème).
Les pré-requis pour que cela fonctionne ?
Des méthodologies simples, à l’utilité évidente pour les parties prenantes, véritablement adaptées au contexte de l’entrepreneur (no bullshit). Des barèmes qui adaptent le tarif des prestations à la taille des entreprises (no racket). Des intervenants polyglottes, ayant la maitrise de plusieurs langues professionnelles : un assemblage artisanal d’hommes et de femmes « traits d’union », curieux les uns des autres.
Ainsi pourra changer le capital-investissement. Ce gigantesque bureau des pleurs où les entrepreneurs se plaignent de la pénurie d’argent, et les investisseurs de l’absence de « bons dossiers ». Cet énorme paquet de testostérone et d’idées reçues agglomérées. Ce summum d’inefficacité globale (sociétale). Cette machine à décevoir les forces vives de notre pays. Ce facteur majeur de dévitalisation de notre économie.
Certes, plus inconscient que méchant.
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